MARIO BENEDETTI
Chaque fois qu'ils nous donnent des cours
d'amnésie
comme s'ils n'avaient jamais existé
les yeux combustibles de l'âme
ou les lèvres de la peine orpheline
chaque fois qu'ils nous donnent des cours
d'amnésie
et nous pressent d'effacer
l'ivresse de la souffrance
je suis convaincu que ma région
n'est pas le divertissement d'autres
dans ma région il y a des calvaires
d'absence
des souches futures/des banlieues
de deuil
mais aussi des candeurs
de hanche
des pianos qui tirent des larmes
des cadavres qui regardent même depuis
leurs vergers
des nostalgies immobiles dans un puits
d'automne
des sentiments insupportablement
actuels
qui refusent de mourir là dans
l'obscurité
l'Oubli est empli d'une mémoire
qui parfois ne convient pas
aux souvenirs
et il faut tirer les rancoeurs par
le bord
au fond l'Oubli est un grand
simulacre
personne ne sait ni ne peut (même
le voulant) oublier
un grand simulacre rempli de
fantômes
ces pélerins qui errent vers
l'oubli
comme s'ils faisaient le chemin
de Compostelle
le jour ou la nuit où
l'Oubli éclatera
explosera en miettes ou crépitera/
les souvenirs atroces et
d'emerveillement
casseront les barreaux de feu
tireront enfin la vérité au monde
et cette vérité sera qu'il n'y a pas
d'Oubli
.
MARIO BENEDETTI
Traduit de l'espagnol par E. Dupas
.
Oeuvre Christian Schloe