SIGNES INSIGNES...
En ces jours de vent Ponant clairs et lumineux, sur les cieux profondément bleus, par les noces de la terre, des îles et de la mer, j'aurai l'espace d'un rêve convolé au royaume de l'Eau - Delà, rallié le vol rasant des Puffins Cendrés, renoué avec les grands espaces de la voile libre, ô gestuelle insensée !
Un solo affranchi allant par des ciels d'aubes et rebelles et que les éléments appellent, auxquels je me dois de rendre humblement ces mots en prose, afin qu'ils soient et demeurent essentiels, fondamentaux, vitaux, quelque part et silencieusement révélés.
Je me suis pris, au hasard des signes de l'azur et de la solennelle Psyché des âmes, aux jeux divinatoires de la prévision saisonnière tout en évitant par le travers la sémantique branchée des modèles superfétatoires et excessivement virtuels, froids.
Ainsi renouai-je à chaque bordée avec l'adage et le dicton d'antan, poétiques à souhaits, tellement apaisants, si vrais.
J'interpréte toujours le vol des hirondelles, l'échappée lointaine des petits Albatros, les contrastes saisissants qui prévalent aux heures denses du soleil et de la mer argentée, des risées réfringentes, des flèches de nuages en cheveux de glace qui annoncent encore le grand frais entêté et le Mistral des Santons de Provence ...
On eût décelé et recouvré ces horizons que l'on pressentît à jamais immuables. Des nuages en ballons accouraient de l'amont, accrochaient les cimes et cailloutaient un ciel abyssal, choral, à peindre, à louer, à chanter !
Comment croire, admettre qu'il en fût autrement ? Mais la donne a changé et le cours du temps pressé bascule de l'autre côté des mondes viables et sereins.
Le souffle du vent, les températures anormalement chaudes de la Grande Bleue ont failli aux promesses de l'été en devenir. Et en dépit des dernières averses, des grains nourris et parfois violents, le sale temps s'est à nouveau installé, n'accordant guère de bons augures pour le dénouement des saisons et des prochaines lunaisons.
Octobre, jadis, nous gratifiait d'une mince pélicule de neige sur les crètes et les sommets surplombant la mer ! Les nuits de septembre versaient dans une fraîcheur parfois saisissante. Nous écoutions les chants traditionnels de nos villages, après que les oiseaux eussent loué le soir, nous allions, chaudement couverts, dès la nuit tombée.
Vers le 15 Août, la montagne Corse, lentement, s'endormait sous d'épais manteaux de brume et de brouillard. Les vergers et la vigne offraient leurs fruits et le pampre roussis enivrant de la feuillaison. Les hautes vallées fumaient et fleuraient bon le bois de chêne longuement séché. Le retour de l'estive se faisait entendre. Les sonnailles donnaient et les chiens bergers cavalcadaient. La nature émergeait de la torpeur estivale des bords de mer parfois redoutée.
Quelque chose changeait, qui nous emportait et nous enveloppait, nostalgiques que nous étions de l'été si vite écoulé, passager du temps qui va et qui revient, chargé de souvenirs et de souhaits.
On prétend que la neige aurait déjà recouvert la haute montagne des massifs alpins. Mais la glace et les eaux fossiles turbides nous échappent et nous quittent, à jamais. Tout n'est qu'apparence aux yeux de qui ne voit plus avec le coeur et l'amour des sources...
Alors, que vous rapporter de ces échappées belles, de cette frénésie de grands espaces mouvants qui m'habitent et que l'on pensait à jamais intouchés, vierges, tutellaires ?
Une immense consternation, l' affliction que l'on éprouve face à l'impossible décours d'une double maladie frappant si fort à l'âme : la cupidité et la soif de pouvoir !
Laissez-moi donc vivre l'ivresse et les alcools spleenétiques d'un sentiment océanique insaisissable, le fil harmonique de l'eau allant l'amble des accords lénifiants de la harpe druidique.
Il n'est point ici d'images ou d'exercices de styles qui s'imposent à l'étantité souveraine des choses et des métamorphoses qui nous échappent.
Que je sois un instant, modeste passeur, croisant sur la voie blanche et bleue de la pureté, respectueux d'un merveilleux, d'un mystérieux dessein de vie intelligent. Je ne saurai le nommer. J'en pressens comme l'esquisse, solennellement, les prémices, le numineux prémonitoire de l'émoi.
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CRISTIAN-GEORGES CAMPAGNC
A la Recherche du Temps Perdu / Prose Marine
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