ALEXO XENIDIS ( ISMENE LE BERRE ) ...HOMMAGE
Refluer de tous les langages.
Retrouver les mots
À leur stade d’oiseaux en vol,
Baisers qui s’échappent des lèvres
Et s’en vont pour leur propre compte
Trouver d’autres lèvres.
Et comme il n’est pas possible
D’atteindre la nudité des origines,
Récupérer dans les mots
Quelque chose d’aussi délié et libre
Que la nudité des cheveux.
Et lorsque tous les mots
Seront de nouveau commencement,
L’homme aussi de nouveau commencera.
Et peut-être que tout de nouveau commencera...
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Roberto Juarroz, " Treizième poésie verticale ", extrait
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Merci à France Dorrmann...
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Alexo Xenidis, alias Ismène Le Berre, nous a quitté vendredi 11 septembre 2020, au petit matin, le visage apaisé, des suites d'un cancer, dans le service oncologie de l'hôpital de Blois, qui l'a accompagnée jusqu'au bout avec dignité et grand soin. J'ai pu lui dire au revoir, veiller, avec Anne et Laurence, ses amies et soignantes, à ce qu'elle ne manque de rien.
Ecrivain, psychanalyste, anciennement consultante pour l'APHP, Ismène avait une grande érudition, parlait plusieurs langues, (Français, Arabe, Grec) faisait preuve d'un humour caustique ou tendre.
Alexo Xenidis a été publiée aux Editions Tarmac, pour son livre: "Communication prioritaire".
Hantée par la peur de déranger, elle ne contactait pas beaucoup ses amis et connaissances, mais pourtant pensait souvent à eux, les aimant dans le fond de son coeur. Du coup, peu de gens savent qu'elle était Alexo Xenidis. Et peu de gens étaient au courant de sa maladie.
Une semaine avant sa disparition, Ismène a appris qu'elle avait depuis sa naissance le syndrôme de Lynch. Cause de sa fatigue et de tous ses cancers, ce syndrôme ignoré lui causait une insécurité de chaque instant.
Ismène a souvent été discriminée. Sa grand-mère, appelée l'Etrangère dans son village, son prénom, moqué par des enfants qui écoutaient leurs parents dans la campagne française, tout cela la faisait se battre, s'épuiser avec ses poings. Son origine modeste et talentueuse, son genre, son ambiguité, son orientation, toutes ces choses magnifiques étaient parfois jalousées et refusées par des individus et corporations aggripés à leurs certitudes vides. Elle n'osait pas chercher un logement seule. Ne laissons pas la bonne conscience qui efface les mauvais traitements gagner. Féministe, elle a toujours porté haut les valeurs de la tendresse.
Il y a quelques années, Ismène avait incarné Antigone pour la plate-forme Dialogus, site qui donnait la possibilité à tout internaute de dialoguer avec des personnages disparus célèbres. En donnant voix à cette grande héroïne, Ismène l'avait fait renaître, et des dizaines de personnes ont pu dialoguer avec Antigone. La beauté poignante et féroce de l'écriture d'Ismène, sa fidélité au personnage d'Antigone, en avait fait une figure recherchée.
Recouvrir le corps d'une personne aimée pour lui rendre hommage, malgré l'interdiction d'un roi, et même au prix de sa vie, honorer la Tradition, les Anciens, était entre autres ce qui, pour Ismène, permettait au Spirituel d'être reconnu dans le monde des vivants.
Rebelle, amoureuse des chats, dénonciatrice des injustices, aidant les plus humbles et les autres, Ismène a marqué beaucoup de personnes, qui ne l'oublieront jamais...... France Dorrmann
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Que la terre te soit légère , ma douce, et que les étoiles éclairent ton chemin
Ta " Sorcière préférée "...
BREF
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Lentement se replient les mers mémorables, longs drapés
Lourds et doux, dissimulant mes fuites,
Et cet amour triste que lestent les cailloux
Je suis partie si loin comment faire demi-tour, comment,
Maintenant où je n'en reviens pas de vous....
LA FOULE
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Tu dis Je ne veux plus avancer Ni survivre
Ni sousvivre
Tu es fière d’avoir inventé ce mot
Pour dire que tu voyages au dessous de la ligne de flottaison
Que chaque paquet de mer tu l’avales suspendue à ta corde
Et tu ne vois pas que la vague te gifle pour que
Tu ne t’endormes pas
Passager clandestin du navire
Tu crois que sur le pont ceux que tu aperçois qui dansent
Sont heureux ils le sont mais ils ne le savent pas
Ils pensent que le voyage est toujours joyeux le ciel
Toujours propice qu’il suffit de jeter aux chats des escales quelques miettes
Pour mettre les dieux de leur côté
Pour que le navire continue sa course à l’infini
Et toi qui sais tu pleures qu’ils ne t’entendent pas
Ils ne voient pas que
Derrière eux le sillage s’efface
Et la vie se referme
DEPRESSION MARINE
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Plonge chaque fois plus profond plus loin
Au large
Nage dans une eau lourde qui casse les bras
Il s’y allume sur la brisure des vagues des lueurs
Irisées au parfum d’huiles d’armes et de mazout
On y croise, flottants, des planches de bois brisées
Et des corps qui tournent leur visage vers le fond,
Avance et brasse de la nuit liquide noire avec
La peur de toucher de la main une main froide
Ou de sentir sa caresse sur la joue
Pourtant il n’y a rien à craindre de ceux là qui dérivent
Rêveurs déjà en route vers le but du voyage,
Je brasse ma fatigue et mon épuisement je traverse les gouffres
Verts l’histoire des bateaux où jouent aux cartes des vivants
Recomptant les points de la partie,
Je crois sentir encore
Dans mon dos quelle main m’a poussée par-dessus bord
Et rendue à cet infini
Qui m’attendait
Patiemment, me porte serrée dans ses bras froids
Et que j’embrasse à pleine bouche
...
Boire gorge tendue l’obstiné bleu léger d'un ciel d'aquarelle
Voir derrière cette paix allongée sur les champs qui s'offre
Et s’ensommeille lourde tiède et roulée dans ses verts
Les bourgeons du lilas en pointes d'obus mauves
La vie faisant la guerre aux pesanteurs et s'arrachant du sol
Armées dressées déjà lances des jonquilles fomentant du jaune
Griffes rouges d'oiseaux rapaces pousses de rosiers
Terre à nu hersée des insectes véloces tranchées vives
Ce qui bouge, grandit, rampe, déplie, escalade, menaces
Rieuses, sous le vol compas d'une pie habillée pour l'Opéra
Cette heure suspendue de la cérémonie secrète qui chuchote
Si vous saviez combien la Vie vous aime
En vain
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7 février 2019
DERNIERE STATION
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Encore
Encore une fois se lever
Vous ne savez pas pour certains ce seul geste fait mal
Le geste
Tant de fois fait pour rien pour personne
Dans les foules assises pesantes
Lever la main le poing avoir
Du mal à le serrer
En voir les jointures qui blanchissent de honte
Et de lassitude
Gueuler, gueuler de rage noire, s'en crever la gorge,
Combien de fois je vous ai dit combien
De vous lever mais vous avez été
Comme des pâtes sans levain
Sans la vie des pâtes mortes qu'on malaxe
Qui ne seront jamais du pain
Vous faut-il que le pétrin du boulanger se souille sous vos yeux
De sang et de merde pour comprendre,
Faut il pour savoir que le fascisme ne vient pas il est là
Que ce soit vous le long du mur hors des caméras
Dont on fouaille les fesses et qu'on déchire le cul
Ils sont quatre, et il y en a trois qui regardent et qui immobilisent
Ce gamin qui se nomme dieu
Ce n'est pas moi qui l'invente c'est son nom Théo
Et je laisse passer ce silence
Si je vous entends je vous vois vous rasseoir
Me parler de la justice le bateau mou qui suit son cours
Je vous gifle
Debout !
DEBRIS
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Je ne sentirai plus
Sous mes pieds la Terre qui tremble et se rebelle
Voulant
Cesser d'être ronde
Ni mes côtes s'ouvrir devenues la carène d'un coraque
Ou de la felouque où s'allonge le batelier
Pour enlacer sa belle lorsque le Nil devient
Fleuve de sang et de boue
Je ne caresserai plus
Ni les joncs de la rive et l'odeur de l'eau
Ni rien qui soit vivant ni les déserts ni l'écume
Ni la cime des arbres et les bras des statues
Y sentant le frisson de la pierre qui prie sa délivrance
Je regarderai
Cachée,
La main qui écrivait «Souviens-toi de mes mains »,
Et ne se souvient plus.
SUPPLIQUE
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Je vous prie
Qu'on me lave d'eau douce, celle du puits où dort la salamandre
Tout au fond du jardin près du figuier à l'ombre mortelle
Qu'on me lave de pluie
Celle tombée qui fait bouger la terre de miracles légers
Je vous prie,
Qu'on me lave de neige, de grêle,
Et du flot de la mer que je ne reverrai pas,
De l'eau des larmes que j'ai pleurées quand je pleurais encore
De ce que vous n'avez pas touché
Qu'on me lave, nue,
Du vin, du sang, des paroles, qu'on me lave
De la puanteur
On donne, on reprend, je ne sais rien de la tête des hommes
De ce qui y grouille, vermine et douceurs mêlées,
Et de cette marée qui soulève le cœur, porte aux nues
Avant de jeter à bas le naïf, l'autre ou celui qui ne joue pas
Aux mêmes jeux que vous
Je vous prie
Qu'on me lave de mon odeur d'humain qui me fait honte
ALEXO XENIDIS
" Ipso ", son beau prince poilu de 8 ans a été adopté par une famille généreuse .....
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