LE VENT DES FALAISES
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A François Canonici, pour son admirable travail sur la Terre de Bunifazziu, son amour pour une Cité à part
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Le vent est tombé sur la mer. Des hautes falaises, on sent encore l'haleine iodée du large et de l'écume brassée. Le petit sentier tortueux qui mène et descend aux Trois Pointes se perd au milieux d'un fatras de rochers acérés. La mer mugit, lance des rouleaux oblongs qui se brisent et se délient contre l'abrupt impassible. C'est le domaine invétéré des vents forts et même par manque de brise, il génère un souffle vital surgi des touffeurs éclatantes de blancheur de l'été ou des abysses froids de décembre. Ces lieux restent solennels, si vrais. Il s'y élève la polyphonie et le chant général de la nature dans toute sa munificence. Je viens parfois m'asseoir au-dessus des flots, écouter la mélopée, la psalmodie des vents et contempler l'azur. Je ne suis pas étonné qu'en de telles contrées les hommes aient appris à louer en chœur la liturgie de la vie et le destin sous les solives d'un temple admirable... Ils poussent leur voix majestueuse qui voyage à travers les champs du ciel.
Les
coups de
vent, les souffles les plus légers ont dessiné à leur guise les
falaises, ces tombants vertigineux dans la Grande Bleue. Ils entonnent
encore la chute des blocs, le fracas que leur rappellent inlassablement
les
déferlantes et leur dernier râle puissant d'embruns. Les assauts sourds
de la mer houleuse qui résonnent du fond des grottes rythment en cadence
le
hululement des bourrasques dans les hauteurs striées et clivées d'une
citadelle à ciel ouvert. Le vent passe et demeure, il est le grand
chamane des lieux, le magister de ce chaos
inimitable et tout aussi beau, à l'image de l'univers .
Mais ce qui interpelle en cet endroit relève de la démesure. Un paysage dégauchi à
la taille des géants, au rabot des cyclopes qui hantent les récits
d'une mer antique, qui émerveille toujours l'âme délivrée des enfants. Les paumes
de la terre recueillent les eaux calmes emplissant ces vasques où ils se
délasseraient toujours après un labeur dantesque.
Des
copeaux,
des édifices
de calcaire saillants volent en éclats et jonchent ces rives
interdites où seul le regard se promène. Je vois des orgues de pierre
titanesques gravir l'azur
où chaque fissure capte et draine l'air, le souffle, le soupir des
nuages, le moindre zéphyr pour enfin déclamer le cantique du vent dans
la plus grande nef qu'il soit donné à l'homme de rêver. Ce
vent épouse la roche, la pénètre plus profondément, fidèle à l'empreinte
saisie des jours et des siècles. Et toutes les parois des falaises, à
l'unisson, comme le plus audacieux des instruments à vent, délivrent
toujours plus haut et plus fort l'inextinguible litanie, précipitant
hélas ! le
déclin de la sagesse et l'oubli des Dieux. Le
resserrement de pans entiers de cet univers vertical, les abrupts et les
ressauts
au-dessus de la mer s'associent pour lancer dans le vide des sons
divins, des plaintes, et le trille du Puffin, du Goéland, des migrateurs
vient comme un cri de joie rappeler aux hommes tant d' élans de libertés
et de bonté perdus. Des innombrables nids juchés dans les airs,
indécelable, l'oiseau esquisse les vents et plane. Il nous invite à
saisir une dernière
fois dans l'erre du temps qui vacille, qui chute ainsi que l'homme au
cœur de l'espérance, si près de Sisyphe, l'augure des Lares, les marches
sûres d'un temps flanqué entre deux irrémédiables instants !
Tout n'est que bruissement, chuchotement, envol plaintif et dolent des vagues
mourantes, renaissantes dans le vaste charroi et les fractures
insensibles des époques.
Reste là, passager ou marin à terre, aspire
au voyage, écoute l'appel du large, marque le pas des saisons! Le cœur
de la mer bat.
Ses lentes et profondes pulsations jaillissent et inondent les pointes
rocheuses. Vers les caps, elles doublent l'onde, disent la respiration,
la fluxion ample de tout un ciel. Et les jours de gros temps elles leur
donnent ces allures enivrantes d'étraves fendant
haut le flot et la lame aux pensées absinthes.
Et une île s'avance, vogue vers demain,
cédant pas à pas ses lambeaux de terre et de vie à la plus noble des
conquêtes, celle de l'Océan que le dauphin et la Baleine ennoblissent
pour l'éternité.
Ô Sanctuaire Marin, indicible patrimoine que tes
falaises porteront au rang des splendeurs de Toutes les humanités, tes vents
fredonnent toujours l'amère souvenance de la Sémillante et des combats
con-damnés, les invasions incessantes comme les plus poignantes
odyssées... Aujourd'hui, prend garde à la modernité, aux vomissures
noires et nauséabondes de l'argent dévoyé, foulant et risquant à tes pieds ces
cathédrales de craie virginale, misant le temple d'une beauté imprescriptible
que les vents purs ont sculptés avec la " Légende des Siècles et les innombrables Travailleurs de la Mer "
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CRISTIAN-GEORGES CAMPAGNAC
PENSÉES
Des Trois Pointes, à Bunifazziu !
Le 26.12.2010
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